Robert Rivard dit Loranger

Quatorze ans après son arrivée en Nouvelle-France, Nicolas RIVARD dit Lavigne, bien établi au Cap-de-la-Madeleine et déjà père de cinq enfants, aura l’immense joie d’y accueillir son jeune frère Robert dit La Rangée ou Loranger.

Le surnom de ‘’Loranger’’ lui a, semble-t-il été donné en raison de la couleur de ses cheveux roux et de son teint basané.

Celui-ci se fera défricheur et cultivera la terre durant plus d’un quart de siècle. Puis, subitement, alors qu’il aura franchi le seuil de la cinquantaine, il se mettra à courir les bois, se rendant jusqu’aux lacs Abitibi et Témiscaminque pour y faire la traite des fourrures avec les nations outaouaises.

Fils de Pierre RIVARD et de Jeanne Mullard, Robert a été baptisé à Tourouvre le 10 juillet 1638. Lors du départ de Nicolas en 1648, il n’est encore qu’un enfant. En 1660, ou vers cette année-là, l’aîné retrouvera en son cadet un jeune rempli d’enthousiasme et déjà prêt à se mettre à l’oeuvre. Travailleur acharné, Robert réussira à abattre deux arpents de forêt par année pour les convertir en autant d’arpents de terre cultivable, ce qui n’est pas banal pour l’époque.

La date d’arrivée de la plupart de nos pionniers constitue une énigme de taille pour les généalogistes, si compétents soient-ils. Les réponses, s’il y en a encore à découvrir, se trouvent peut-être outre-atlantique dans ces contrats notariés qu’on n’a pas fini de dépouiller.

L’historienne de Robert RIVARD. madame J. Loranger-Paquette (1), n’a pas réussi, elle non plus, à élucider ce détail. Elle fait allusion aux 200 personnes qui se sont embarquées à La Rochelle en 1659, aussi â la centaine d’hommes qu’a recrutés Pierre Boucher en 1662, et dont seulement 67 ont réussi à atteindre nos rivages sains et saufs. D’autres groupes plus restreints sont arrivés en 1661 et 1663.

Les recherches menées par le notaire André Dufresne prouvent la présence de Robert Rivard au Cap-de-la-Madeleine le 28 décembre 1662. Me Dufresne croit que Robert est arrivé le 28 octobre 1662, recruté par Pierre Boucher.

Première concession au Cap-de-la-Madeleine

Ce qu’il y a de certain, c’est que le 28 décembre 1662, Robert Rivard est rendu chez nous,

puisqu’il est témoin du testament que fit Jeanne Sauvaget, épouse d’ Élie Bourbeau, ce jour-là devant le notaire Louis Laurent du Portail.Puis devant le notaire Claude Herlin, cet ancêtre reçoit le 28 juillet 1663 une concession du Père C. Allouez, agissant au nom des seigneurs Jésuites. Le lopin de terre est situé dans les limites du Cap-de-la-Madeleine. Le 16 février 1664, Robert signe avec François Brunet un bail à ferme pour une terre faisant front sur le fleuve et appartenant à Claude Houssart, le second mari de Madeleine Couteau, belle-mère de Nicolas Rivard dit Lavigne. Le 1er mai suivant, Mgr de Laval passe au Cap-de-la-Madeleine et Robert en profite pour se faire confirmer.

Robert épouse Madeleine

Les événements se précipitent. Le 28 octobre de la même année, le notaire Jacques de la Tousche rédige les clauses du contrat de mariage de Robert et de Madeleine Guillet, âgée de quatorze ans, fille de Pierre Guillet dit Lajeunesse et de Jeanne Saint-Père. Sont présents â ce contrat Nicolas Rivard et Catherine Saint-Père, oncle et tante de la future épouse, Claude Houssart et Madeleine Couteau, sa grand-mère, de même que Mathurin Guillet, frère de Madeleine.

La cérémonie religieuse dut avoir lieu au Cap-de-la-Madeleine, dans la petite chapelle qu’avait fait construire Pierre Boucher en 1659, mais les registres antérieurs à 1673 sont malheureusement perdus.

Il est à peu près certain que le jeune ménage demeura un certain temps au Cap.

Il s’établit à Batiscan

Le 8 février 1666 (2), Robert vend à Pierre Prou sa concession de la côte Saint-Marc (3). Le 22 mars suivant (4). le Père Jacques Fremin, procureur des Jésuites au Cap-de-la-madeleine, lui donne deux habitations de deux arpents de front chacune à Batiscan et à la côte Saint-Eloy, presque en même temps que celles qu’obtiendront Claude Houssard et Nicolas Rivard. Quinze ans plus tard, Robert aura réussi à défricher et à rendre cultivables une trentaine d’arpents: il aura donc mis les bouchées doubles.

Dans l’Aveu et dénombrement de 1677 (5), il est dit que l’ancêtre possède 160 arpents de terre à Batiscan, soit quatre arpents de front sur quarante de profondeur, à la charge de payer par chacun an audict domaine, un boisseau de blé français et deux chapons de rente seigneurialle avec quatre deniers de cens, portant lods et rentes, saisines et amendes suivant la dite coutume, et d’exécuter les autres clauses et conditions portées par le contrat de concession quy luy en a esté donné, passé par devant le dict notaire La Tousche le vingt deuxième jour de mars mil six cent soixante et six.

En 1681. le recenseur affirme que Robert a 43 ans et que Madeleine compte 31 printemps: leurs enfants sont alors Claude. 16 ans; Mathurin, 11 ans: Madeleine, 9 ans; Marie, 7 ans: François. 4 ans, et Charlotte, 18 mois; les Rivard possèdent deux fusils et cinq bêtes à cornes (6).

Aux lacs Abitibi et Témiscamingue

lorangerC’est le 22 janvier 1689 que Robert décide de tenter la grande aventure de la traite des fourrures. Chez le notaire Gilles Rageot, il signe un bail avec la Compagnie du Nord, pour se rendre aux lacs Abitibi et Témiscamingue, pour trois années consécutives. Les profits de cette traite seront partagés entre la compagnie pour une moitié, le sieur Loranger et le notaire Michel Roy dit Châtellerault pour l’autre moitié. Ces deux derniers devront payer en plus Alexandre-René Lemoyne, un autre membre de l’équipe.

Tel père, tels fils: le 31 août 1691, Mathurin et Nicolas s’engageront pour les Illinois devant le notaire Antoine Adhémar, pour le compte du capitaine François de la Forest. En 1692, le fils aîné, Claude, organisera son propre voyage avec François Mercure dit Villeneuve, dans le pays des Outaouais.

Entreprises de la Compagnie Royale

 Le 13 juin 1695 (7), Robert signe un nouveau contrat de traite d’une durée de trois ans, s’étant associé cette fois-ci avec quelques parents et amis: Jean Crevier, Louis Guillet, Jean Trottier, Jean Baribeau et Jean Desrosiers. Cette société sera connue sous le nom de Compagnie Royale et l’acte sera paraphé par les notaires Bénigne Basset et Claude Maugue, de Montréal. Plusieurs voyages seront ainsi organisés, et ce jusqu’en 1707.

«Les engagements se continueront encore de nombreuses années dans la famille Rivard, écrit madame Loranger-Paquette (8). Tantôt c’est Nicolas qui s’engage pour le voyage au pays des Illinois (1701), alors que Claude et Mathurin Rivard, de compagnie avec François Frigon dit l’Espagnol. Jacques et Alexis Lemoyne, Jean-Baptiste et Louis Gatineau, tous voyageurs, s’engagent pour le voyage du Détroit. Nouveau voyage au Détroit, l’année suivante (1702) de Mathurin Rivard et de son ami François Frigon. En 1703, c’est François Dumontier, gendre de Robert Rivard, qui organise son propre voyage au Fort Frontenac alors que Mathurin Rivard, Etienne Volant, sieur de Radisson, plus 42 autres compagnons iront au lac Erié pour les Messieurs de la Colonie du Canada. Robert Rivard, fils, attendra au 23 avril 1704 pour entrer dans la ronde. A cette date, Il s’engage à son beau-frère François Dumontier pour le voyage au Fort Pontchartrain du lac Erié. Il fit au moins quatre voyages, dont celui de 1705, avec Joseph Moreau, gendre de François Frigon. »

Madeleine meurt 37 ans après son époux

Sans doute usé par le trop lourd labeur qu’il s’était imposé durant ses quarante années en terre canadienne, Robert Rivard ne sera plus là à l’orée du prometteur XVIII e siècle. Il sera inhumé à Batiscan le 11 mai 1699, à l’âge de 61 ans. Madeleine Guillet lui survivra près de 37 ans, étant mise en terre à son tour le 27 avril 1736, à l’âge respectable de 86 ans. Exactement deux mois plus tard (9), ses héritiers se partageront le reste de ses biens.

Six fils ont été voyageurs

  • Le couple Rivard-Guillet avait élevé une belle famille de treize enfants, dont tous les fils, sauf René-Alexis ont été voyageurs comme leur père:
  • Claude dit Loranger (1665-1736), marié en 1696 à Catherine Roy dit Châtellerault. Claude a habité chez son beau-père après son mariage;
  • Il a voyagé aux Outaouais et au Détroit. Il a été inhumé dans la nouvelle paroisse de Sainte-Geneviève, voisine de celle de Batiscan;
  • Mathurin dit Feuilleverte (1667-1737), marié successivement à Françoise Trottier (1700) et à Jeanne Frlgon (1710). Il a voyagé aux Illinois, au Détroit et au lac Erié. Il est décédé à Batiscan;
  • Nicolas (1670-1733), marié en 1721 à Anne Desrosiers. Il a effectué au moins deux voyages aux Illinois. Ce couple de Batiscan n’a pas eu d’enfants;
  • Marie-Madeleine (1671-1744), mariée en 1698 à Jean Trottier; décédée à Grondines où cette famille était établie;
  • Marie-Anne (1674-1750), mariée en 1696 au sergent François Dumontier. Ce dernier faisait partie de la compagnie de Vaudreuil et avait abjuré le protestantisme en 1691. Après son mariage, François a habité chez son beau-père. En 1703, il se rendit au Fort Frontenac. En 1708, Vaudreuil et l’intendant Raudot lui accordèrent un important fief d’une lieue et demie de front sur trois de profondeur à Yamachiche. Marie-Anne rendit foi et hommage pour ce fief en 1723; elle fut inhumée à Grondines;
  • François, né en 1677; marié à Marie-Jeanne Hamelin 1710 ;
  • Marie-Charlotte (1681-1744), mariée en 1700 à Charles-Julien Lesieur dit Duchaine. Celui-ci fut seigneur d’Yamaska et d’ Yamachiche. Marie-Charlotte a été inhumée dans cette dernière paroisse;
  • Robert (1682-1709) demeura célibataire. Il a fait trois voyages au Fort Pontchartrain du lac Erié en 1704, 1705 et 1707. Il a été inhumé à Batiscan;
  • François dit Montendre (1684-1756), engageur pour l’ouest, marié en 1710 à Marie-Joseph Hamelin. Cette famille était établie à Grondines;
  • Louis-Joseph dit Bellefeuille (1685-1740), marié en 1717 à Françoise Lesieur. Cette famille est considérée comme l’une des plus anciennes d’Yamachiche;
  • Marie-Catherine (1689-1716), mariée en 1715 au marchand Pierre Lefebvre de Québec. Ce couple, dont la vie commune n’a duré que quelques mois, n’a pas eu d’enfants;
  • René-Alexis dit Loranger-Maisonville (1691-1757), marié en 1727 à Marie-Charlotte Lafond. Cette famille vivait à Batiscan; Marie-Françoise, née en 1694 et mariée en 1716 à Jean Lafond dit Mongrain, procureur fiscal à Sainte Geneviève de Batiscan.

Les descendants de Robert Rivard et de Madeleine Guillet se sont dispersés à travers tout le pays et même aux Etats-Unis, où se sont fixés un grand nombre de rejetons de René-Alexis.

Références bibliographiques

(1) Le 10 juin 1959. madame Loranger-Paquette prononçait une conférence sur son ancêtre Robert Rivard, sieur de Loranger, â l’occasion de la 16e assemblée générale annuelle de la Société généalogique canadienne-française. Son texte a été publié dans les Mémoires de cette société (volume X. 1959. pages 116 â 128).

(2) Idem. page 121.

(3) La côte Saint-Marc était située dans la seigneurie des Jésuites, tout près de Champlain.

(4) Greffe de Jacques de la Tousche.

(5) Mémoires de la S.G.C.F., volume X, page 121.

(6) Benjamin Suite, Histoire des Canadiens français, volume V, p. 61c.

(7) Acte de Bénigne Basset.

(8) Livre cité. page 124.

(9) Greffe d’Arnould-Balthazar Pollet, 27 Juin 1736